Tensions au port de Montréal sur fond de loi anti-briseurs de grève
Les débardeurs du port de Montréal ont rejeté à 99,5 % la dernière offre patronale visant à renouveler leur convention collective, venue à échéance le 31 décembre dernier.
Il y a eu scrutin secret les 21 et 22 avril et 1078 membres ont exercé leur droit de vote sur une possibilité de 1206 votants, soit un taux de participation de 89,16 %.

« Il y a clairement une volonté de provoquer le syndicat et ses membres du côté de l’AEM [Association des employeurs maritimes] et des compagnies maritimes qui composent son conseil d’administration », estime Martin Lapierre, président du Syndicat des débardeurs (SCFP, local 375).
« Le nouveau président de l’AEM, malgré de beaux discours, n’a pas changé le vieux fonds de commerce de son association. L’AEM œuvre quasi exclusivement à tenter de dominer, de museler et, surtout, d’entretenir une haine pour les débardeurs et leurs représentants », renchérit Michel Murray, conseiller syndical du SCFP.
Les négociations se poursuivent aujourd’hui le 23 avril et le syndicat dit réitérer sa volonté d’en arriver à un règlement négocié entre les parties.
Pertes économiques pour le camionnage
À l’Association du camionnage du Québec (ACQ), le président-directeur général Marc Cadieux dit ne pas vouloir revivre un épisode de conflit de travail au port de Montréal, la dernière grève des débardeurs ayant pris fin au printemps de 2021.
En entrevue à Transport Routier, M. Cadieux explique : « Les dernières grèves qu’on a connues ont eu des impacts économiques très considérables sur les transporteurs », faisant également référence aux grèves de l’été dernier aux ports de la côte Ouest du pays.
Dans le contexte de ralentissement économique actuel, le PDG de l’ACQ estime qu’il « n’est pas souhaitable pour le port de Montréal d’être constamment avec cette épée de Damoclès-là. »
« Il y a des expéditeurs qui pourraient être tentés de plus en plus de revoir d’autres ports, donc ce serait une perte d’affaires autant pour le port que pour les transporteurs. »
Travailleurs de remplacement?
Le 31 décembre 2023, c’est la date à laquelle a pris fin la convention collective des débardeurs du port de Montréal. C’est aussi la date limite fixée par le gouvernement Trudeau pour déposer une loi interdisant le recours à des travailleurs de remplacement lors d’une grève ou d’un lock-out au sein d’une organisation sous réglementation fédérale.
Ce projet de loi (C-58) a en effet été déposé à temps mais n’est pas encore adopté. Il est à l’étude par un comité de députés. Sans surprise, le patronat est contre et les syndicats sont pour.
À l’ACQ, Marc Cadieux estime que faire appel à des travailleurs de remplacement est une mesure de dernier recours.
« C’est sûr qu’avec des employés de remplacement, il y a toujours une tension qui s’exerce entre ceux qui côtoient le port et ceux qui sortent et qui entrent. Ce n’est jamais de bon augure », dit-il.
C’est ce qui se passe en ce moment au port de Québec, où des travailleurs de remplacement effectuent les tâches des débardeurs, en lock-out depuis 19 mois. Là-bas, le syndicat affirme que ces travailleurs de remplacement sont la source de nombreux accidents.
Patronat et syndicats s’affrontent
Pour le Conseil du patronat du Québec (CPQ), le recours à des travailleurs de remplacement est essentiel. Il a déposé un mémoire au gouvernement fédéral pour l’inciter à reculer parce que, dit-il, « ce projet de loi est une menace réelle à notre prospérité économique et la bienveillance de nos chaînes logistiques. »
« Une société moderne comme le Canada ne peut se permettre de s’auto-enfarger à ce point », déclare Karl Blackburn, président et chef de la direction du CPQ.
Le CPQ propose également d’améliorer significativement le processus de maintien des activités afin que celui-ci prenne en considération « le rôle vital et essentiel des acteurs de la chaine logistique. »
À la FTQ, le syndicat des Métallos s’est également fait entendre devant le comité de parlementaires qui se penche sur le projet de loi C-58, une loi « anti-scabs » que le syndicat appelle de tous ses vœux, plaidant que ça fonctionne très bien au Québec depuis plus de 40 ans.
« Ça fait des décennies qu’on tourne autour du pot, il est temps d’équilibrer enfin les relations de travail », déclare l’adjoint au directeur québécois des Métallos, Nicolas Lapierre.
« Nous vivons depuis 1977 dans un régime de relations de travail au Québec qui comporte des dispositions interdisant les briseurs de grève – qu’on appelle aussi travailleurs de remplacement ou carrément scabs. Cela a permis d’apaiser de façon générale les conflits de travail », déclare M. Lapierre, ajoutant que plusieurs conflits ont été évités ou écourtés grâce à cette disposition.
Les Métallos préconisent par ailleurs une entrée en vigueur immédiate de la loi, dès son adoption, plutôt que le délai de 18 mois prévu dans l’actuel projet de loi.
Commission d’enquête
Hier, le ministre fédéral du Travail Travail, Seamus O’Regan Jr., a annoncé la mise sur pied d’une commission d’enquête sur les relations de travail. Elle aura pour objectif d’étudier les enjeux sous-jacents des conflits de travail avec les débardeurs des ports de la côte Ouest canadienne.
« Les Canadiens ont été victimes d’une perturbation économique qu’aucun conflit de travail ne devrait être en mesure de créer. Les ports sont vitaux pour les chaînes d’approvisionnement, et l’ampleur du conflit a constitué un fardeau pour les innombrables entreprises et travailleurs qui dépendent de ces chaînes », dit le ministre O’Regan par voie de communiqué.
La Commission commencera sous peu à rencontrer les intervenants. Elle doit présenter un rapport au ministre au printemps 2025, rapport qui comprendra ses conclusions et ses recommandations.
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