Le DEF: la nouvelle pénurie

Vous pensiez avoir tout vu avec les pénuries de pièces et de véhicules? Avec les hausses de prix substantielles des camions, des remorques, des pneus, du diesel? Eh bien non : une autre pénurie qui entraînera un bond spectaculaire des prix se dessine en Asie et en Europe, celle du liquide d’échappement diesel!

Vous le connaissez ce liquide, couramment appelé DEF, versé dans les camions neufs depuis 2010. Composé d’urée à 32,5 % et d’eau déminéralisée à 67,5 %, il permet au système de réduction catalytique sélective de transformer les oxydes d’azote de l’échappement en azote et en vapeur d’eau.

En Asie, particulièrement en Chine et en Corée du Sud, une pénurie de DEF se pointe. Pour en connaître les raisons, il faut d’abord savoir que l’urée nécessite de l’ammoniac, et que la production d’ammoniac nécessite du méthane. Or, le prix de ce gaz a considérablement augmenté au cours des dernières semaines.

L’urée est aussi utilisée pour la fabrication d’engrais. La Chine a resserré ses exportations d’engrais, lorsque le prix des engrais a commencé à grimper en flèche et à affecter la production alimentaire. Le gouvernement chinois a aussi invoqué une récente flambée du prix du charbon pour justifier le resserrement des exportations d’urée. L’urée est extraite du charbon, rapporte Argus Media.

Les conséquences commencent à se faire sentir en Asie et en Europe. Des gouvernements asiatiques et européens ont commencé à sécuriser des centaines de milliers de litres de DEF.

La Corée du Sud pourrait voir un grand nombre de véhicules à moteur diesel devenir inutilisables au cours des deux ou trois prochains mois en raison d’une grave pénurie de DEF, écrit SP Global. Afin de contrer la pénurie de DEF, le gouvernement sud-coréen a eu recours aux voies diplomatiques pour obtenir des expéditions internationales et gère l’approvisionnement national grâce à de nouvelles amendes sur le stockage et à une suspension des accusations de falsification de véhicules. Vous avez bien lu : la falsification des systèmes antipollution n’entraîne plus d’accusation en Corée du Sud! Ce n’est pas rien!

Le gouvernement sud-coréen tente aussi de diversifier ses sources d’approvisionnement pour inclure d’autres pays comme la Russie afin d’être moins vulnérable pendant la pénurie de DEF. Mais des obstacles se dressent; par exemple, il faut compter au moins deux à trois mois pour recevoir du DEF de Russie et il n’est pas assuré que celui-ci réponde aux normes actuelles.

En Europe, les plus gros fournisseurs de DEF (AdBlue, Blue+, ClearNOx et autres) ont diminué ou interrompu leur production. Argus Media rapporte que la société allemande SKW Piesteritz a annoncé une baisse de 20 % de sa fabrication d’ammoniac. Une autre usine allemande, celle de BASF, a aussi ralenti la cadence. La firme norvégienne Yara a décidé de suspendre l’activité de son usine italienne durant quatre semaines, et l’entreprise slovaque Duslo a aussi mis sa production en pause. «Par conséquent, des difficultés d’approvisionnement commencent à faire grimper les prix de l’AdBlue dans plusieurs pays d’Europe», indique Argus Media.

Mais au-delà de la hausse du prix, il y a plus inquiétant encore : la réduction de la production de DEF pourrait entraîner une pénurie mondiale. Sachant que le DEF est aussi essentiel que le diesel pour faire avancer les camions commerciaux, il y a là de quoi soulever les préoccupations, même de notre côté de l’océan, évidemment!

Marc Cadieux, PDG de l’Association du camionnage du Québec (ACQ), est bien au fait de la situation. Il m’a confié avoir travaillé sur ce dossier depuis plus d’une semaine et avoir eu des discussions avec différents ministères parce qu’il avait une appréhension de la pénurie. «Lors des dernières livraisons au port de Valleyfield, les litrages prévus en provenance d’Europe étaient moindres que les quantités prévues», constate-t-il.

On parle d’une forte augmentation à venir, allant jusqu’au double du prix actuel.

«Il y a une usine en Saskatchewan qui fabrique de l’urée (N.D.L.R. L’usine de Yara à Belle Plaine). Il y a des camions-citernes qui amènent le produit ici, sauf qu’il y a une forte augmentation du prix.» Outre les pressions mondiales dont nous avons parlé plus haut, il coûte très cher d’aller cherche du DEF en Saskatchewan avec un camion-citerne. Entre autres raisons, le DEF se transporte seulement dans des citernes en acier inoxydable, et les charges permises en Saskatchewan sont moindres qu’au Québec et en Ontario, empêchant d’optimiser la quantité de produit acheminé. L’ACQ tente présentement d’obtenir des dérogations pour utiliser des configurations permettant d’augmenter la capacité de transport du DEF de l’ouest vers l’est.

«Ce qui préoccupe l’industrie au Québec, c’est l’augmentation du prix qui va déstabiliser notre compétitivité. Nos coûts d’exploitation vont augmenter, c’est certain», prédit Marc Cadieux.

Comment ces coûts seront-ils récupérés? Cela reste à voir. Mais il faut aussi s’assurer que les transporteurs ne manqueront pas de DEF pour faire avancer leurs camions. Attendez-vous à une hausse de la demande, car plusieurs voudront faire des provisions.

Steve Bouchard

Rédacteur en chef, transportroutier.ca

Steve Bouchard écrit sur le camionnage depuis près de 30 ans, ce qui en fait de loin le journaliste le plus expérimenté dans le domaine au Québec. Steve est le rédacteur en chef de l’influent magazine Transport Routier, publié par Newcom Média Québec, depuis sa création en 2000. Il est aussi le rédacteur en chef du site web transportroutier.ca et il contribue aux magazines Today’s Trucking et Truck News.

Steve rédige aussi le bulletin électronique de Transport Routier, Les nouveautés du routier, et il participe à l’élaboration des stratégies de communication pour le salon ExpoCam de Montréal, propriété de Newcom.

Steve est détenteur d’un permis de conduire de classe 1 depuis 2004 et il est le seul journaliste de camionnage au Québec à avoir gagné des prix Kenneth R. Wilson de la Presse spécialisée du Canada, l’or et l’argent deux fois chacun.

Steve a occupé la présidence et la présidence du Conseil du Club des professionnels du transport du Québec et il représente les médias au comité des fournisseurs de l’Association du camionnage du Québec. En 2011, il a reçu le prestigieux prix «Amélioration de l’image de l’industrie» remis par l’Association du camionnage du Québec.