Comment garder ses travailleurs étrangers temporaires
Faire appel à des travailleurs étrangers temporaires est un bon moyen de soulager la pénurie de main-d’œuvre dont souffre l’industrie du camionnage et l’économie québécoise dans son ensemble. Cependant, en engager est une première étape, mais les garder reste un énorme défi pour les entreprises.
Ce sujet était à l’honneur du Grand Rendez-vous de l’Association du camionnage du Québec intitulé : Cap sur les stratégies de rétention des travailleurs étrangers temporaires, où quatre experts du domaine ont parlé des enjeux et des façons de faire en sorte que les travailleurs étrangers continuent de travailler pour vous.
«Le choix de sujet logique pour faire suite au recrutement international, c’était de parler de la rétention de nos travailleurs et de vous expliquer les différents choix qui s’offrent à nous pour le renouvellement des travailleurs ou pour l’obtention de leur résidence permanente», a déclaré Chantale Côté, présidente et fondatrice de DR Recrutement.

Renouvellement de permis
Pour les travailleurs qui souhaitent renouveler leur permis, il faut qu’eux et leurs employeurs en discutent à l’avance.
«Je conseille, après l’arrivée de vos travailleurs d’avoir une discussion concernant les objectifs à long terme pour ces employés», a affirmé Chantale Côté. «On se dit qu’à la base, c’est un permis qui est certes temporaire mais, pour l’entreprise, les besoins sont à long terme. Je pense que c’est important de le remémorer pour que ce soit clair pour la personne.»
Selon elle, le délai idéal pour discuter du renouvellement est de neuf mois avant la fin du permis de travail. Cela pourra ainsi donner assez de temps pour éviter la perte du statut de travailleur, d’éviter de tomber dans un statut implicite et de faire des estimations selon les délais gouvernementaux.
«C’est pour être vigilant, pour nous laisser du temps, puis éviter des situations désagréables en immigration. Je pense que c’est important de prévoir la fin, et neuf mois avant vous ne serez pas trop tôt. C’est un délai très juste.»
Mme Côté a aussi souligné qu’il n’est pas impossible qu’un travailleur étranger change de poste, à condition de renouveler le permis de travail avec le nouveau poste en question.
«Dépendamment de la durée du permis, on pourrait tout de suite renouveler avec le nouveau poste, avec les nouvelles tâches et les conditions qui viennent avec. Ce serait stratégique de le faire et s’il reste un délai après le premier permis de travail, je conseillerais de faire un deuxième dossier rapidement pour éviter que la personne soit dans un poste qui ne lui convient pas.»
Joël Beaudoin, avocat chez Cain Lamarre, a ajouté que «faire autrement pourrait engendrer une situation de non-conformité qui pourrait créer des problèmes pour l’entreprise et les travailleurs. Donc oui, c’est une bonne idée de changer le permis de travail quand on peut, mais il faut le faire avant de changer de poste.»
La francisation
Les immigrants qui viennent au Québec doivent faire face à un paramètre supplémentaire : le français.
«On estime à près d’un demi-million le nombre d’immigrants temporaires au Québec en octobre 2023., que ce soit des travailleurs, des étudiants, des diplômés, des demandeurs d’asile ou des membres de la famille. Il y a à peu près 60 000 qui font partie du programme du TET, 108 000 avec le programme de mobilité internationale et 118 000 étudiants», a expliqué Stéphane Aublet, parajuriste senior en immigration pour la firme Canadim, spécialisée en immigration canadienne.
«Un tiers de ces personnes ne maitrisent pas le français et de ceux qui ont un permis de travail, 35% travaillent en anglais. Ça donne une bonne idée du nombre de personnes qui ne maitrisent pas le français, ce qui pousse le gouvernement à mettre en place certaines mesures.»
Mais un aspect qui soulagera les travailleurs étrangers, c’est qu’un premier permis de travail ne nécessite pas de prioriser le français. «Il n’y a pas, au niveau des permis de travail, une priorisation d’une langue par rapport à l’autre», explique M. Aublet.
Il faut cependant un certain niveau de français pour devenir un résident permanent. En effet, en novembre 2023, le gouvernement du Québec a annoncé que les travailleurs étrangers temporaires souhaitant renouveler leur permis après trois ans doivent avoir une connaissance du français de niveau 4 à l’oral, excluant les travailleurs agricoles.
«L’idée est que l’on aurait droit à 36 mois pour atteindre un certain niveau de français afin d’être autorisé à faire une seconde demande d’IMT et demander un nouveau permis de travail», précise M. Aublet.
Ce dernier recommande aux employeurs de guider leurs travailleurs étrangers dans ce nouveau processus, notamment en anticipant les exigences à venir et en leur donnant du temps et des outils pour apprendre le français.
«Le défi, tant pour le gouvernement que pour les employeurs au Québec, ce sera de trouver une forme d’équilibre entre la pénurie de main-d’œuvre et la protection du français», ajoute M. Aublet.
La résidence permanente
«Il faut comprendre premièrement que la résidence permanente, c’est l’objectif des travailleurs étrangers. Donc, un travailleur étranger qui souhaite devenir citoyen canadien et avoir son passeport doit nécessairement passer par la résidence permanente», a indiqué Joël Beaudoin.
Demander la résidence permanente apporte plusieurs bénéfices, comme la diminution du nombre d’études d’impact sur le marché du travail (EIMT), la diminution du nombre de renouvellements de permis de travail à effectuer, une plus grande mobilité au sein de l’entreprise, ce qui est bien pour la promotion du travailleur, et elle peut aussi être un outil de rétention adapté.
Le processus de résidence permanente est constitué de quatre étapes : la demande de Certificat de sélection du Québec (CSQ), la demande de résidence permanente, la confirmation de statut de résident permanent et l’émission de la carte RP.
Joël Beaudoin indiqué que deux programmes peuvent s’appliquer au CSQ : le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) et le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ). L’avocat conseille de prioriser le premier. «C’est un programme qui fonctionne très bien et qui est aimé par les personnes qui font des demandes de permis de travail, parce que c’est beaucoup plus simple et que ça offre plus de certitude d’obtenir un certificat de sélection du Québec.»
Le PEQ est en effet un processus moins long et plus immédiat pour obtenir la résidence permanente. Le travailleur étranger doit passer par un tirage au sort à travers un grand bassin de candidats s’il opte pour le PSTQ.
«Je recommande de faire une offre d’emploi validée lorsque vous êtes en mesure d’évaluer les compétences de vos candidats et que vous êtes certain que vous voulez le garder. Je recommande aussi d’établir des standards. Je trouve que ça a plus de sens que de donner une offre d’emploi validée trois jours après que la personne soit arrivée, même si certains le font pour attirer les travailleurs.»
Faire attention
Le processus de rétention des travailleurs étrangers est rempli de petites choses auxquelles il faut faire attention. Anouar Nemry, conseiller principal en affaires et en immigration chez Great Dominion, a fait part de quelques points que les employeurs doivent prendre en compte pour leurs travailleurs étrangers temporaires, à commencer par respecter les contrats.
«Comme employeur, il y a certaines situations que l’on résout par instinct. Malheureusement, les programmes ne sont pas matière à interprétation. Ils sont écrits de façon coercitive et il faut les appliquer à la lettre. Il faut bien s’assurer de comprendre ce que l’on fait», a-t-il admis.
C’est surtout le cas des modifications au permis de travail. «Il faut savoir que changer tout élément de l’offre d’emploi initial, soit les conditions auxquelles vous vous êtes engagé dans votre demande d’IMT, peut entraîner une modification considérée comme mineure ou majeure. Il est important de se renseigner auprès de Services Canada à savoir ce qui correspond à une modification majeure ou mineure.
M. Nemry a aussi mentionné un problème qui pourrait toucher les travailleurs étrangers temporaires camionneurs : voyager aux États-Unis et revenir au Canada. Le permis de travail n’est pas suffisant; il faut aussi avoir un passeport valide ainsi qu’un visa de visiteur et une autorisation de voyage électronique . Là encore, il faudra prouver à l’Agence des services frontaliers du Canada que le travailleur se conforme aux exigences.
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